Pour bien vanner, il faut avoir le coeur léger...

Pour bien vanner, il faut avoir le coeur léger, se laisser guider par la matière, être concentré sur ce que nos mains font, ne pas se préoccuper du temps qui passe, et c'est pas tous les jours évident... Malgré mon obstination à travailler (ou peu être même aussi à cause d'elle ?) je n'arrive à faire ces derniers temps que des paniers assez moches : quelle tristesse ! Mon devenir vannière serait-il compromis ?

 

Tout comme la vie ici me semble l'être après la mort de François mon voisin berger, dans un terrible accident de la route la semaine dernière... Car "François c'était Espréaux et Espréaux c'était François" comme l'a bien résumé Antoinette, une de ses soeurs qui a lu un magnifique éloge qu'elle avait écrit devant toutes les personnes réunie pour ses obsèques dans le champs au dessus de la bergerie, et nous n'étions pas loin de 250...

& C''était très émouvant, très "beau" aussi... Par exemple de voir comment cet homme (berger lui aussi) tendu vers la scène, tenait bien serré dans sa main ce petit bouquet de lavande... Mais aussi les bancs fabriqués à la vas vite par Sylvain, le fils de François qui est apiculteur, avec des hausses de ruches et quelques planches, celles là même qui devaient lui servir bientôt à fabriquer d'autres ruches, ou des hausses... De la même manière, Sylvain avait fabriqué de grandes tables dans la bergerie, pour que nous y soyons tous bien (accueillis) pour passer un moment ensemble à l'issue de la cérémonie, et ça : c'était vraiment chouette !


Vous pouvez entendre la voix de François et du même coup découvrir ou reconnaître son état d'esprit en écoutant le message (magnifique) qu'il avait enregistré sur son répondeur téléphonique : c'est là

en introduction d'un petit montage des images que j'avais faites la première année où je vivais ici...

 

& aussi le magnifique texte écrit par Antoinette et qu'elle nous a lu lors de la cérémonie

pour l'enterrement de son frère, François Aubaud né le 31 Mai 1948 ...

 

" Dimanche 19 août 2018. 5h15 du matin. Il fait encore nuit.

François au volant de son camion roule vers un rucher près de Digne. Tout va bien.

Pour le miel, c 'est une année sans pareil. Mathieu l'accompagne.

Une voiture folle en face d'eux. Le choc. Un bruit épouvantable. Un silence total. François est mort.

Espréaux, d'où il est parti ce matin se réveille doucement.

À Rochefort, Bernard ouvre un oeil. Les moutons, un à un se lèvent et vont brouter. Les chiens, le museau collé sur leurs pattes avant, les yeux mi-clos guettent les pas et la voix de leur maître.

En bas le téléphone a sonné. Espréaux se fige. L'air se fige. la bergerie se fige. Nos pensées se figent. Espréaux est à l'arrêt.

 

Espréaux, c'est un tout petit pays près du col, entouré d'un cirque de montagnes presque parfait, un petit endroit paisible et isolé, quelques champs, quelques maisons, un ruisseau.

Au nord, on descend vers Veynes, au sud vers Esparron, Barcillonette, par des routes etroites et sinueuses qui filent, au coude à coude avec les ravins.`Ces routes, nous on connaît. Nous, c'est la famille Aubaud. Nous sommes onze enfants. Nos parents sont décédés.

 

Espréaux, c'est notre pays, notre odyssée, notre mythe, le berceau de la civilisation Aubaud.

Ceux-ci règnent sur ce petit royaume depuis 1955, les parents d'abord, puis François depuis une quarantaine d'année.

 

Notre enfance et ce pays sont tissés ensemble. Nous pouvons raconter des milliers et des milliers de péripécies, de petits bonheurs / malheurs, de souffrances, d'astuces. Ce pays il est en nous. Nous en connaissons le moindre recoin, le moindre buisson. Les montagnes, les marnes, les champs, les arbres, nous ont portés dans leurs bras comme une mère porte ses petits.

 

Nous étions onze enfants. Les parents étaient débordés. Maison. Commissions. Enfants. Argent. Moutons. Ruches. Miel. Argent. Lycée. École. Enfants. Comment on va faire ?